in « Jardin des Arts », num. 110, Paris, janvier 1964, p. 77
Les années 1930, qui furent celles de l’étalement de la première vague surréaliste, virent naître un grand nombre de vocations picturales que le surréalisme avait peu ou prou inspirées. Il s’agissait généralement de peintres fort trempés de poésie qui répugnaient aux stylisations et aux déformations du cubisme et du « picassisme » et qui, s’ils affectionnaient l’anecdote insolite, entendaient la traiter posément, en utilisant toutes les ressources –classiques– du dessin et de la matière. Certains de ces peintres –tels Lucien Coutaud, Pierre Ino, Jean Marembert– ont fait carrière avec des fortunes diverses ; d’autres –tels Paresce, Olson, Lafon– ont été moins chanceux. Il serait grandement injuste d’ignorer ces grands imagiers ou petits maîtres qui ont perfectionné la peinture surréaliste en lui donnant une signification plastique, l’ont rattachée à une tradition fantastique aussi constante que profonde (de Bosch à Odilon Redon en passant par Piranèse, Füssli, Bresdin, Doré) et l’ont, finalement, popularisée.
Louis Cattiaux (1904 – 1953) appartient à cette génération de peintres que le succès de l’art non figuratif, brut, gestuel, tachiste, etc., a sérieusement occultée. Une exposition d’ensemble de ses oeuvres, organisée à Valenciennes, sa ville natale, par l’avisé Claude Souviron, conservateur du musée municipal, vient de marquer le dixième anniversaire de sa mort brutale et prématurée. C’est le commencement d’une réparation qu’une rétrospective plus vaste, au musée d’art moderne de la ville de Paris, rendrait évidemment plus éclatante.
Cattiaux, qui fut du groupe « Sagesse » animé par Fernand Marc, puis fonda le « transhylisme » avec ses amis peintres déjà nommés et le soutien de Jules Supervielle, devait rapidement s’engager dans des recherches personnelles sous le double signe de l’occultisme et de la poésie. Bernard Dorival a dit, dans sa présentation de l’exposition de Valenciennes, grâce à laquelle Cattiaux a rejoint ses illustres concitoyens Watteau et Carpeaux, que Walt Disney, le Douanier Rousseau, l’art populaire, le surréalisme, La Fontaine et les Gnostiques se rencontrent dans cet art singulier. C’est vrai, mais il faut insister, surtout, sur le caractère magique et somptueux, éminemment plastique au demeurant, des toiles vitrifiées, émaillées, où intervient un « médium » mystérieux, que Cattiaux tira d’un folklore intérieur où la Belle-au-bois-dormant côtoie la Belle Ferronnière, où la Vierge se penche sur les cornues de l’alchimiste, où le Christ ouvre ses entrailles sur la pierre philosophale.
Cette note sur Louis Cattiaux serait incomplète si je ne disais qu’il fut l’ami de René Guénon et de Lanza del Vasto, qu’il est l’auteur d’une sorte d’évangile, Le Message Retrouvé, d’une étrange coloration spirituelle, enfin de deux recueils de poèmes, dont l’un, Les Poèmes du Fainéant, a pour exergue cette apocryphe réflexion d’Hippocrate : « Trop de gens écrivent, qui ont les ongles sales ».
