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Reflets d’une quête alchymique

Entre les années 1980 et 1994, des extraits choisis de lettres de Louis Cattiaux à ses amis se sont succédé sans interruption dans la revue belge « Le Fil d’Ariane » sous le titre de Florilège cattésien.

Nous les présentons ici (Cfr. R. Arola, Croire l’incroyable ou l’ancien et le nouveau dans l’histoire des religions, éd. Beya, 2006, pp. 239 à 244) en respectant l’ordre qu’Emmanuel d’Hooghvorst jugea opportun de leur attribuer lorsqu’il en fit la sélection. Celle-ci regroupe les extraits les plus intéressants quant à leur teneur philosophique et initiatique. L’heureux terme de florilège, peu répandu dans la langue espagnole, provient du latin flos, « fleur », « le meilleur » et legere, « réunir », « choisir » ; on retrouve dans la langue grecque le mot anthologie qui est un synonyme plus usité dans les langues romanes.

Le Florilège cattésien est un recueil de fleurs épistolaires de Louis Cattiaux, dont le message, comme le précise leur compilateur, porte toujours sur l’Art et le Grand Œuvre alchymiques .

Lorsque Emmanuel d’Hooghvorst présentait cette sélection en 1980, il s’adressait, comme nous le verrons ci-après, aux lecteurs du Message Retrouvé de Louis Cattiaux, car il considérait explicitement ces lettres comme un complément du livre. Une introduction à ce Florilège pour le lecteur d’aujourd’hui se doit donc d’analyser le lien étroit qui l’unit au Message Retrouvé, l’œuvre maîtresse de Louis Cattiaux. Cette relation cache bien davantage qu’il n’y paraît. On y trouve une histoire insolite et surprenante, comme un miracle survenu au cœur du xx e siècle.

Cependant, ce Florilège peut également être le point de départ pour accéder au Message Retrouvé, une sorte de raccourci naturel qui conduit à sa lecture et à sa compréhension. Recueilli par Emmanuel d’Hooghvorst, il s’imbrique parfaitement dans Le Message Retrouvé, il est son complice, un ami intime et fidèle. Mais il convient de se demander pourquoi attacher tant d’importance à cette relation. Un bref aperçu des événements nous aidera à mieux comprendre la merveilleuse aventure qui a environné l’apparition du Message Retrouvé.

L’histoire débute en 1938, lorsque Cattiaux entreprend la rédaction d’une série de sentences ou aphorismes qui condensent la dictée d’une certaine inspiration d’une muse amie ; il intitule ces pensées Le Message Perdu. Pendant plusieurs années, il alterne sa quête artistique avec la rédaction de l’ouvrage. En 1946, il considère l’ouvrage comme achevé et le publie à compte d’auteur, préfacé par Lanza del Vasto, sous le titre : Le Message Retrouvé. Le Message, qui se compose de douze chapitres, reprend l’ensemble des aphorismes qui reflètent son expérience hermétique ; ils sont numérotés par versets et sont distribués en deux colonnes.

L’apparition du Message Retrouvé passa pratiquement inaperçue dans les milieux philosophiques de Paris, le centre culturel par excellence de l’époque. Il n’y eut pratiquement que le flair développé d’un René Guénon, déjà installé au Caire, pour percevoir dans ce livre original, quelque chose de réellement authentique, et l’inciter à écrire dans la revue Les Études traditionnelles, un compte rendu dans lequel il se révèle surpris :

Nous ne savons ce que des « spécialistes » de l’hermétisme, si toutefois il en est encore de réellement compétents, pourront penser de ce livre et comment ils l’apprécieront ; mais ce qui est certain, c’est qu’il est loin d’être indifférent et qu’il mérite d’être lu et étudié avec soin par tous ceux qui s’intéressent à cet aspect particulier de la tradition.

Alors que l’ouvrage suivait son propre chemin (« Le Message Retrouvé de Louis Cattiaux est un livre – écrivait E. d’Hooghvorst – qui choisit ses lecteurs » ), Cattiaux continuait à écrire des versets à un rythme toujours plus rapide, dans l’oubli presque total de tout ce qui l’entourait, jusqu’au terme du 16 juillet 1953, date où il disparut, surpris par une maladie fulgurante. Le nombre de chapitres qui était de douze lors de la première édition de 1946, atteignait désormais le chiffre de quarante ; le terme de chapitre avait été substitué par celui de livre, et l’auteur avait ajouté le sous-titre : L’Horloge de la nuit et du jour de Dieu, ainsi que la dédicace : « Ce livre n’est pas pour tous, mais seulement pour ceux à qui il est donné de croire l’incroyable » ; il avait compris qu’à l’époque rationaliste dans laquelle il vivait, rares étaient ceux qui possédaient ce don.

Sans le compte rendu de René Guénon, le travail de Cattiaux et l’inspiration de sa muse retrouvée seraient restés complètement ignorés, ensevelis dans l’existentialisme, la psychanalyse, le surréalisme, etc. Au milieu de tant de sagesse sérieuse et de tant d’érudition, les vérités simples peuvent difficilement se manifester. Néanmoins, ces quelques lignes de Guénon servirent d’hameçon providentiel à certains chercheurs qui, à l’instar des enfants, croyaient encore que les arbres pouvaient parler. Nous avons dit que la première édition fut réalisée à compte d’auteur ; c’est donc à Cattiaux que devaient s’adresser ceux qui désiraient acquérir l’ouvrage. Parmi eux se trouvait le baron d’Hooghvorst qui écrivit à propos de sa rencontre avec l’auteur :

Louis Cattiaux vivait à Paris, rue Casimir-Perier, à l’ombre de l’église Sainte-Clotilde, en face d’un petit square paisible et provincial. Il mettait sur ses cartes de visite : « Louis Cattiaux, poète, peintre et mire ». Dans sa boutique mystérieuse à front de rue, il peignait des toiles étranges et magnifiques, des vierges hiératiques, entourées de symboles oubliés. Il les peignait dans une matière riche, dense, colorée à l’extrême. Il disait avoir retrouvé le secret de l’antique matière picturale des frères Van Eyck, ce secret du métier que les peintres d’autrefois se transmettaient de bouche à oreille et de maître à disciple. Son art relevait du sacré, ses toiles ressemblaient à des pentacles, aussi passait-il pour magicien. Il était guérisseur aussi et procurait à ceux qui lui en demandaient, de mirifiques pommades lesquelles n’étaient pas sans effets curatifs.

Sa toute petite boutique, magiquement décorée, semblait enclore tout l’univers. On y respirait le parfum de quelque jardin d’Éden très intérieurement gardé ; on y revenait souvent, sans trop savoir pourquoi, peut-être simplement aimanté par la chaleur. Car une chaleur jamais approchée encore, une chaleur qui était tout autre chose que la cordialité ordinaire, émanait de cet homme, et aussi comme le pressentiment d’un immense secret, vivant, mais jalousement celé, comme le poisson philosophique nageant en eau profonde. Il vivait candidement, sobrement, pauvrement aux yeux des hommes, gai, joyeux comme les enfants, et comme eux, sans malice. Il vivait en bon père de famille entre sa femme qu’il aimait et son fils qu’il caressait souvent, avec tendresse. Car il avait un fils, cet homme, un fils qui répondait miaou avec tant de grâce quand son père le prenait dans ses bras et le cajolait amoureusement en lui disant : « Gros Jésus ! » Un chat magique, bien entendu !

Ses amis se demandaient : « Qui est-il ? » et sans pouvoir répondre précisément à la question, ils se disaient pourtant : « Il n’est pas comme nous ». Cattiaux, quelle était donc cette vie secrète qui resplendissait en toi ? Avais-tu découvert le joyau d’éternité ? Avais-tu percé l’énigme de ce monde ? 

Les quelques rares chercheurs qui se sont laissés conduire par leur intuition profonde jusqu’au Message Retrouvé, se sont rendus chez Cattiaux pour acquérir un livre encore inachevé. Ils se sont liés d’une amitié profonde avec lui et ont même participé à la gestation de certains versets. Pendant les années passées entre la parution du compte rendu de Guénon et la disparition de Cattiaux, ce petit groupe de chercheurs a soutenu l’auteur dans l’élaboration du Message Retrouvé, et en 1956, après qu’il eût quitté ce monde, ils se chargèrent de la publication complète du Message aux éditions Denoël.

Cattiaux a entretenu avec ce groupe d’amis passionnés par son œuvre, une intense relation personnelle ; certains d’entre eux n’habitaient pas Paris, ce qui justifiera une relation épistolaire suivie. S’ils s’écrivaient presque quotidiennement, c’était pour partager leur interêt pour les mystères contenus dans les versets du Message Retrouvé. Ce sont ces lettres qui sont à l’origine du Florilège que le lecteur tient dans ses mains.

Ces lettres furent rédigées à la même époque que les versets du Message Retrouvé et bien souvent l’expliquent directement ou indirectement. Cattiaux y parle de son ouvrage, rend témoignage des réactions suscitées, explique certains versets et traite de sujets qui allaient devenir ultérieurement des versets. À la disparition de Cattiaux, ses amis rassemblèrent les extraits les plus intéressants de ses lettres, principalement ceux qui traitaient de la mystérieuse genèse du livre. Emmanuel d’Hooghvorst en fit la compilation que nous présentons ici. C’est pourquoi nous avons dit au début que ce Florilège ne peut être séparé du Message Retrouvé : ils ont tous deux, été guidés par la même boussole et leurs destinées sont inscrites dans le même astre. Mais qu’est donc Le Message Retrouvé ? Dans un texte écrit à propos de la troisième édition, Emmanuel d’Hooghvorst écrivait :

Comment le définir ? Tous ne le liront pas de la même façon. Le nom du livre indique la nature de son contenu : le message ; le message de qui ? de quand date-t-il ? Pourquoi retrouvé ? A-t-il été perdu ? Par qui ? Pourquoi ? Comment ? Pourquoi ce titre a-t-il été choisi par l’auteur de ces sentences ?

Sans doute, celui-ci se réclame-t-il d’une inspiration. Peut-on la déceler dans ces pages, parfois difficiles, énigmatiques, fastidieuses à certains, mais souvent aussi d’une émouvante chaleur, d’une poésie, d’une foi, d’une simplicité d’enfant ? Quels sont les lecteurs qui sauront y discerner un savoir d’unité aussi ancien que l’humanité traditionnelle : un savoir de sainteté, un savoir de salut ? Le « Message Retrouvé », c’est comme si on disait : le Mystère Revivifié ; non plus lourdement enseigné par des historiens, mais expérimenté, assimilé et vécu dans la simplicité du cœur et de l’esprit. Il faut savoir feuilleter au hasard ces pages de sentences condensées comme l’air liquide, et pourtant, d’une aisance surprenante, où pas un mot n’est superflu, mais où tout s’ordonne dans un sens unique qui ne se révèle pas à la première lecture. Que dirai-je du Message Retrouvé, moi qui le lis depuis trente ans et qui le trouve toujours neuf ? C’est un vade-mecum, celui des exilés, la boussole de ceux qui sont perdus, le compagnon du pèlerin.

Son auteur a vécu inconnu, même de ceux qui croyaient le connaître. Il a médité ce livre dans le silence et l’abandon de ce monde, il en a formé et poli les sentences jour après jour, avec un savoir-faire aussi aisé que savant.

Lisez-y donc la foi du Créateur en sa créature, vous qui vivez en cette fin d’un monde, la fatigue et l’usure de toutes les subtilités ! Ce livre vous plaira si vous préférez la chose aux mots, le savoir qui unit à la science innombrable, la conscience au délire. Ces versets ne sont pas impénétrables : ils parlent seulement à ce qu’il y a en nous de plus essentiel, et souvent hélas ! de plus délaissé ou de plus méprisé. Voilà pourquoi peu l’apprécient. C’est à ceux-là que les éditeurs de la troisième édition ont voulu rendre service, à ceux qui sont fatigués d’un monde sans issue, d’un monde de plus en plus étranger à tout ce qui est véritablement humain, d’un monde où la sagesse ancienne paraît dérisoire et inutile. Ceux-là verront qu’il suffisait d’un seul homme … 

Le Message Retrouvé a été rédigé de façon directe, concise et sans équivoque ; chaque mot et chaque virgule y sont pesés ; il est authentique dans son intégralité et ne génère guère de polémique. Le Florilège par contre, est différent : il a été écrit au gré de la plume, de façon spontanée ; on y trouve un Cattiaux qui s’immisce dans les sujets d’actualité, qui débat, qui condamne, qui se réjouit… 

Il ne faut cependant pas oublier que ces lettres n’ont évidemment pas étés rédigées dans le but d’être publiées. Ce sont des textes différents, mais amoureusement unis au Message, puisque tous deux traitent du mystère de la régénération de l’homme. 

Dans Le Message Retrouvé, Cattiaux a recueilli son inspiration essentielle et substantielle, mais quelque chose de cette force créatrice apparaît également dans ses lettres. Elles seront certainement utiles à plus d’un chercheur sincère qui croit l’incroyable, et l’aideront à franchir le seuil du Message Retrouvé, à entrer dans ses salles pour partager les mets des dieux.

– Raimon Arola