




Présentation
I
En ce troisième millénaire où mondialisation et individualisation règnent à outrance, l’œuvre de Louis-Ghislain Cattiaux (1904-1953) interpelle et invite à réfléchir sur le sens du symbole.
Ce n’est que soixante ans après la disparition de cet auteur, qu’apparaît progressivement à la lumière le véritable sens restitué du symbole. L’œuvre de Cattiaux annonçait une « réalité cristallisée », avec ses lumières et ses ombres. Cette réalité oblige à préciser avec la plus grande rigueur possible ces nouvelles morphologies de symbole, témoins de l’unique expérience spirituelle inhérente à l’homme.
Le titre du présent essai évoque une connaissance dans une existence, dans un vécu : là où les traditions de nos pères se rejoignent dans l’expérience particulière et individuelle.
Hélas ! aujourd’hui, le symbole est trop souvent confondu avec certains ésotérismes sans grande profondeur spirituelle.
« Hélas », car le terme ésotérisme dégradé est devenu superstition, magie sans fondement, sans lien avec la religion, ni avec la philosophie, ni même avec les sciences humaines.
A contrario, un ésotérisme bien compris pourrait, et même devrait, permettre un dialogue entre toutes les religions et se
fondre discrètement dans la forme extérieure des différentes confessions sans en altérer le noyau originel.
C’est cette approche que nous scruterons ici. Elle n’est cependant pas nouvelle car elle avait déjà brillé de ses propres feux à la Renaissance, lorsque la philosophie hermétique avait rassemblé autour du christianisme, mythologie des anciennes traditions païennes et enseignements de la cabale juive. Pour ce faire, il fallait « renouveler » certains symboles car, au fil des siècles, ils avaient perdu leur vigueur et leur puissance unificatrice, et étaient redevenus des ésotérismes vides.
Les limites de cette approche, aussi vagues qu’abyssales, nous obligent à choisir un cadre d’étude restreint qui permet de recouvrer la richesse des symboles traditionnels, de les rendre présents et vivants, loin des superstitions et des non-sens, loin de tout type de fondamentalisme. L’œuvre de Louis Cattiaux nous a paru suffisamment riche pour y fonder notre étude.
Comme elle l’a fait pour tant d’autres, l’histoire s’est efforcée de laisser en marge ce singulier personnage, créateur à multiples facettes, philosophe, mystique, alchimiste, qu’aucune discipline ni technique n’a pu enfermer, inclassable ! Comme pour tous les hommes qui ouvrent des horizons, bien vite la poussière de l’oubli se charge de les ensevelir.
Les historiens de l’art ne perçoivent la mystique de sa peinture pas plus que les historiens de la mystique n’entendent sa force plastique. Quant aux religieux et autres philosophes, déconcertés par son œuvre, nul ne veut la considérer sérieusement. Cependant, pour différentes raisons que nous nous efforcerons de développer minutieusement, la semence créatrice, manifestée dans les différentes disciplines de l’œuvre de Cattiaux, se trouve déposée dans un livre, lui aussi inclassable, Le Message Retrouvé, où l’auteur écrit ces mots troublants :
Les prophètes nous ont parlé de la substance et de l’essence de Dieu, et nous épluchons leurs textes pour y découvrir l’histoire, la morale, la poésie ou la divination !
Ô stupide aveuglement des intelligents et des savants ! Ô médiocrité satisfaite des croyants ! (XIX, 1).
II
Son ami Jean Rousselot (1913-2004), écrivain reconnu des milieux parisiens du surréalisme, publia en 1951 une brève notice. « Peintre paresseux », « peintre, poète… et philosophe »
« mire, chiromancien et guérisseur… un sage », ces mots qualifiant notre auteur donnent à penser qu’il fit de son art une philo- sophie, et de ses expériences, une sagesse :
« Un peintre paresseux »
Il y a quarante mille peintres à Paris. Un seul bat ses tapis sur les grilles de Sainte-Clothilde, le matin ; un seul vit à la campagne en pleine capitale, son chat sur les genoux : c’est Louis Cattiaux […].
« Peintre, poète… »
La peinture de Cattiaux se fait toute seule. Du moins son exécution ; car il la médite longuement, chacune de ses toiles naissant lente- ment d’une exigence à la fois métaphysique, religieuse et plastique […]. Il ne lui faut pas plus de temps pour écrire des poèmes : Les poèmes du Fainéant en tête desquels il a placé cette phrase malicieusement attribuée à Hippocrate : « Trop de gens écrivent, qui ont les ongles sales ». […] Poète dans sa peinture – par sa merveilleuse invention qui lui permet de donner un corps à ses postulats, une chair à ses pures spéculations – Cattiaux est peintre dans sa poésie, en ce sens que chacun de ses poèmes est comme une illustration de ce qu’il exprime en peignant : Vierges alchimistes, tigres couronnés de soleils et ceints de l’éternel serpent, éblouissants éclatements d’un Cosmos que rassemble aussitôt la systole du cœur.
« et philosophe »
La philosophie de Cattiaux, et sa métaphysique, il ne cache point leurs sources : la Tradition, l’Ésotérisme […]. Son dieu est l’Unique, sa religion l’Amour. Le Message Retrouvé exprime tout cela en courts chapitres qui s’emboîtent selon une logique interne qu’on ne perçoit pas immédiatement.
« mire, chiromancien et guérisseur »
« Il faut se faire voyant », disait Rimbaud. Cattiaux a suivi ce conseil. […] Où qu’il se trouve, c’est l’insolite qui s’installe avec lui : il a toujours l’air de venir de très loin, d’un monde pacifié où l’on vivrait sans manger, sans travailler, sans combattre. Ce « mire » n’a d’ailleurs rien d’un sorcier […].
« un sage »
Cattiaux, entre sa femme Henriette et son chat Poupinet, entre sa palette et son écritoire, mène la vie du sage. Il a la joie de l’enfant, l’humour tendre du saint. […] Le vrai Cattiaux, c’est rue Casimir- Perier qu’il faut aller voir, choyé, choyant, et obtenant des grâces par le seul exercice de son amour. « Devant qui se prosterne, on se prosternera », disait le grand poète lithuanien Milosz. « À qui donne, on donnera », telle pourrait être la devise de Cattiaux (Notices : « Un peintre paresseux… »).
Rue Casimir-Perier, dans une galerie d’art reconvertie en habitation (fig. 1-2), espace pittoresque bien connu à Paris, on rencontrait le peintre à son chevalet, au rez-de-chaussée, à front de rue, comme en vitrine.
III
Le Message Retrouvé, œuvre maîtresse de Cattiaux, est certes un livre difficile, pour ne pas dire impossible à commenter. Cattiaux le savait, mais qu’y pouvait-il ? Le Livre vivait d’une vie propre. L’auteur lui-même s’avouait incapable de l’altérer, fût-ce pour le rendre compréhensible, ou pour le doter d’un contexte culturel. Aussi Cattiaux recherchait-il d’autres moyens de l’agrémenter et d’en accompagner la lecture. Peintures, poèmes, lettres, cahiers de notes et son essai sur la peinture intitulé Physique et métaphysique de la peinture apportent une aide précieuse à la compréhension du Livre. Nous nous y référerons en respectant la volonté de Cattiaux de ne pas confondre ces documents avec le contenu du Message Retrouvé.
Le livre que le lecteur tient dans ses mains, considéré comme protreptique, constitue une exhortation à la connaissance du symbole renouvelé, identifié, d’une certaine façon, au message
« re-trouvé ».
Quatre grands axes articulent notre essai. Le premier vise à comprendre les différences et les similitudes entre la personnalité de Cattiaux et les symboles renouvelés dans Le Message Retrouvé. Ceux-ci dépasseraient celle-là, raison pour laquelle nous avons insisté sur la signification du symbole qui ne peut être dissocié des saintes Écritures.
Le deuxième grand axe examine le lien entre création artistique et symboles renouvelés. La première moitié du XXème siècle marque l’art d’un intense processus de recherche et de change- ment, et Cattiaux y participe. Les surréalistes notamment, immiscés dans les mondes occultes développent une sensibilité commune avec celle de Cattiaux.
Le troisième volet s’intéresse à l’essai de notre auteur, Physique et métaphysique de la peinture. Relevons la considération la plus décisive qu’il nous inspire et à laquelle nous nous sommes ralliés : le rapprochement art et magie, établi par Cattiaux, met en lumière le rapport magie et traditions spirituelles authentiques ; sujet toujours équivoque et souvent mal interprété. Un chapitre consacré au Nom créateur achève cette partie.
Enfin, la dernière étude, consacrée à l’alchimie et à la tradition hermétique, examine une nouvelle fois la différence entre ésotérisme sans profondeur et « occulte » véritable des anciens maîtres. Si le langage de Cattiaux n’est pas proprement alchimique, son Message Retrouvé porte l’empreinte de la mystérieuse conjonction, métamorphose des éléments naturels en pierre philosophale. Ici, l’univers des symboles explicitent l’être transcendant, rencontre et commencement des différentes traditions spirituelles.
Au printemps 2012, lors de l’élaboration de ce livre, nous avons eu l’occasion de donner deux conférences sur Cattiaux à l’Université de Barcelone, et de publier l’épilogue à l’édition de Physique et métaphysique de la peinture en espagnol. Pour ceux- ci, nous avons fait usage d’extraits du présent essai ; les chapitres « Le symbole et l’exégèse » et « Le symbole dans la peinture de Cattiaux » sont le reflet de ces conférences. Le chapitre « Un essai sur l’art » est repris de l’épilogue mentionné. Enfin, une grande partie de « L’hiéroglyphe unique » est tirée d’une étude publiée sous le titre de La Terre Vivante, signée sous le pseudonyme de George Kirkeby et parue dans le premier volume de la collection Beya, intitulé : Images cabalistiques et alchimiques (R. Arola, Images cabalistiques et alchimiques, Beya, Grez- Doiceau, 2003, pp. 235 et ss).
Toute notre reconnaissance s’adresse en premier lieu à ceux qui nous ont fait connaître l’œuvre de Cattiaux, principalement les frères Charles et Emmanuel d’Hooghvorst ; également, à ceux qui nous ont accompagné dans la quête et qui, d’une façon ou d’une autre, ont contribué à la réalisation de ce livre, spéciale- ment à mon épouse Lluïsa Vert ; également à Jean-Christophe Lohest, Jeanne d’Hooghvorst et Nadine Coppin.