Lire de nos jours des pages qui témoignent d’une expérience spirituelle authentique est une chose des plus étonnantes et exceptionnelles qui puisse se présenter à la conscience intellectuelle ronronnante des temps modernes.
La chose devient particulièrement stupéfiante lorsque l’auteur et le texte –inconnu du grand public– semble en apparence échapper et contredire les codes d’expression bien établis et traditionnels, les formes connues et rassurantes qui permettent de reconnaître et de classer selon des grilles d’interprétation bien structurées –on pourrait peut-être mieux les définir comme des pièges– l’énième lieu commun masqué de vérité.
Celui qui voudrait approcher l’œuvre de l’alchimiste Louis Cattiaux, la tête farcie d’allusions embrouillées, caractéristique des ouvrages d’un certain hermétisme alchimique contemporain, se complaisant dans l’emploi d’argot technique et initiatique, bagages typiques d’une vaste pléthore d’alchimistes modernes ; ou partisan d’une voie manipulatoire qui serait en quête d’un texte riche d’instructions opératives tels qu’indications sur les temps, les températures et opérations diverses, serait bien déçu.
De même, que celui qui espérerait trouver dans les pages du Message Retrouvé, l’ixième exposition de la doctrine alchimique, fut-ce selon une méthode herméneutique que nous avons fini par prendre l’habitude de considérer, selon le point de vue, de l’occultisme, de la psychanalyse ou autre encore. Mais la désillusion la plus cuisante, serait probablement celle des bariolés cercles néo-païens, et plus précisément syncrétisme-magiques, qui se prêtent toujours à faire étalage d’hermétisme pour justifier les théories les plus fantaisiste et vaines sur l’homme et sur l’univers. Charles d’Hooghvorst nous parle de l’accueil, réservé par les milieux hermétistes, à l’œuvre de Cattiaux, lors de sa première parution, –probablement, avec son frère Emmanuel disparu depuis quelques années, le principal herméneute de l’œuvre de Cattiaux– dans les actes du Colloque Canseliet qui a eu lieu à Paris, en décembre 1999.
Charles d’Hooghvorst dit : « … même ceux qui y croyaient encore et qui pratiquaient l’alchimie, n’ont pas reconnu L. Cattiaux comme un des leurs. Ce livre est très beau, disaient-ils, en feuilletant le Message, mais il n’a rien à voir avec notre alchimie ; il n’y a là aucune recette pratique comme en enseignent nos maîtres. C’est un livre mystique parmi tant d’autres… Bref, Le Message Retrouvé, en un langage inhabituel, je veux dire, en un langage qui n’est pas celui qu’utilisent habituellement les maîtres de l’alchimie, langage que Cattiaux connaissait parfaitement pour avoir étudié les ouvrages des anciens maîtres, Le Message Retrouvé, dis-je, parle néanmoins à chaque page de leur fameuse matière, lumière de Nature, feu secret de l’oeuvre capable de dissoudre l’or vulgaire sans violence, de le faire germer, fructifier et multiplier…»
L’œuvre de l’hermétiste Louis Cattiaux est donc difficilement classable dans l’arsenal de la spiritualité contemporaine. Le langage de ses aphorismes se voile, à chaque page, de vêtements tantôt mystiques, philosophique ou alchimiques, sans jamais céder aux flatteries d’une homogénéité qui facilite la classification ou l’homologation.
Dans son compte rendu sur Le Message Retrouvé au moment de sa première publication en 1947, dans la revue « Les Études Traditionnelles », René Guénon en conseillait un mode de lecture semblable à celle qui était pratiquée parfois dans diverses traditions, pour interroger les textes sacrés : l’ouverture du livre au hasard au moyen d’un coupe-papier. C’est une excellente méthode pour saisir des messages, des analogies éclairantes et parfois cathartiques, des indications mystiques et existentielles. Saint Augustin, lors de sa conversion au christianisme, poussé par une voix intérieure, expérimente cette méthode avec la Bible. Nous n’avons pas la désinvolture guénoniène pour conseiller une approche semblable au lecteur italien du Message Retrouvé, cependant nous tenons particulièrement à signaler cette bienheureuse édition italienne : un des livres hermétiques les plus beaux et intéressants que nous ayons eu l’occasion de lire. Auparavant, nous ne connaissions pas l’œuvre de Cattiaux. Nous y avons trouvé une profondeur qui, vécue en affinité avec le texte, par le lecteur, peut réellement lui transmettre le sens profond d’une doctrine et d’une expérience spirituelle manifestement possédée et maîtrisée, et qui transcende la dimension purement intellectuelle.
Les aphorismes de Cattiaux, séparés en deux colonnes parallèles, se déroulent –probablement suivant une intention bien définie de l’auteur–, se fondent et s’alternent, laissant libre cours au lecteur de sauter d’une colonne à l’autre, d’un aphorisme à l’autre. Ces versets sont riches d’une profonde valeur spirituelle, telle que la littérature contemporaine nous en propose rarement.
Cattiaux est alchimiste per ignem, et il nous le communique avec des mots où une acuité du regard, un lyrisme et une maîtrise du symbolisme hermétique et alchimique, qui se fond avec un christianisme vibrant, et une conscience mystique qui, probablement, nous fournit au moins une clef pour situer Cattiaux et ses merveilleux aphorismes. Ce qui échappe souvent aux modernes épigones des anciens maîtres de l’Art Royal, est l’indispensable essence cosmogonique et cosmologique de l’alchimie. La nature de technè, d’un art voué à reproduire les lois de l’universel dans le particulier ; d’une magie tournée vers une imitation du moment créateur. De même l’officiant du rite, qui semble souvent reproduire avec des symboles et des actions la cosmogonie sacrée, l’ascète hermétique est tourné vers la création –ou peut-être vers la libération– d’une forme nouvelle de conscience corporelle, d’un enfant-roi qui renouvelle les racines même de l’être.
Voilà, du moins, ce que nous raconte la tradition enchantée, dans les délicates métaphores poétiques, dans les complexes instructions opératives, dans les obscures représentations symboliques. Mais la technè doit, forcément, comme pour chaque art traditionnel, être reliée à une métaphysique, à une source qui en constitue, en même temps, le but final, la réalisation accomplie. Comme pour une main qui fonctionne seulement lorsqu’elle est attachée à son bras, ou comme un robinet, dont la fonction trouve son sens seulement en relation avec le réseau qui l’alimente ; l’art sacré, par sa nature même, doit dépendre d’une métaphysique. Voilà pourquoi nous avons des alchimistes païens, chrétiens, juifs, musulmans, hindouistes. L’art sacré transforme et adapte son propre contenu universel aux traditions métaphysiques, a laquelle il se réfère, au moyen du langage symbolique de la nature et de ses lois. De cette façon, le langage de la technè évoque en soi le rôle qui lui est propre, dans le cadre d’une vision métaphysique accomplie qui dirige et détermine les opérations et les résultats.
Cattiaux donc, l’alchimiste Cattiaux, est résolument chrétien. Le Message Retrouvé rappelle irrésistiblement des pages enflammées et lapidaires de certains pères du désert, ou, plus précisément, les aphorismes lumineux du Pèlerin Chérubique de Sylésius. Voilà la comparaison qui probablement et celle qui s’approche le plus du style de Cattiaux. Comme dans Sylésius, le symbolisme alchimique est la métaphore privilégiée pour la description d’un chemin spirituel.
Ainsi, il est évident que le symbole et le rite chrétien, constituent la base et l’origine, dont réalisation christique en est la forme la plus parfaite, comme pour les textes d’alchimie d’Arnaud de Villeneuve, de Rupescissa et des plus sublimes pères de l’Art. Les deux colonnes qui contiennent les aphorismes, à droite et à gauche de la page, sont, comme nous le suggère Charles d’Hooghvorst, analogiquement en corrélation sur deux plans d’expression différents : la colonne de droite exprime les sens cosmogonique, mystique et initiatique ; celle de gauche les sens terrestre, moral et philosophique. Ceci, encore une fois, paraît en total harmonie avec les deux aspects de la révélation, l’exotérique et l’ésotérique, dont la parfaite et inséparable complémentarité réalisent l’accomplissement traditionnel du christianisme. Et, justement, en témoignage de cette inséparable complémentarité, et de cette inextricable identité, Cattiaux viole souvent la règle de base de la composition. Les deux colonnes unissent souvent leurs pensées, s’échangent les rôles, envahissent leurs domaines respectifs pour affirmer une fois de plus la densité et la richesse poétique débordant du message suprasensible.
Un texte d’une grande profondeur, en somme, qui restitue à la modernité le sens ultime et métaphysique d’une doctrine ancienne, indépendamment de la simple survie d’un langage symbolique traditionnel. Trop souvent dégradé par la vanité du jeu des identités mis en scène par des soi-disant initiés et prétendus adeptes, dont les textes, sentent rarement ce « parfum de vérité » que Lanza del Vasto, dans sa splendide préface au Message Retrouvé, perçoit exhaler des pages de Cattiaux. Et que dirions-nous de plus, que tout lecteur qui sache et veuille bien s’abandonner au jeu poétique et métaphysique des aphorismes de Cattiaux, ne manquera pas de le percevoir.