Trop de gens écrivent
qui ont les ongles sales.
HIPPOCRATE
À MES AMIS
Vous avez perdu votre vie,
disaient-ils en regardant mes mains vides ;
et personne n’entendait le dieu
qui chantait dans mon cœur.
À UNE MORTE
Perles de la princesse aveugle,
étalées sur la pourpre des baisers d’ au-delà,
je vous contemple enfin sans reflet de moiteur
dans cette aridité où plus rien ne sourit.
À LANZA DEL VASTO
J’ étais un étranger tout de noir habillé,
qui passait dans le monde comme dans une tempête.
Droit sur ma bête, je fixais au loin
l’ impassible sourire du premier des humains.
À VALENCIENNES
Rappels mouillés des lieux de mon enfance,
que je respire en vain dans la brume des ans,
vous demeurez éteints à travers ma tristesse,
malgré vos parfums remontants.
À UNE INCONNUE
Parce qu’ elle torturait distraitement un enfant,
et que mon corps aveugle participait au crime,
nous devînmes unis le temps d’une douleur,
dans cette grande nuit où les hommes s’ oublient.
À CHARLES NISARD
Ce fut dans la forêt de pierre
Où le froid crépuscule
Raffermissait nos âmes,
Qu’ il remercia son dieu
Et que j’intercédai pour lui.
À POUPINET
Le petit chat qui sommeille,
appuyé sur son nez,
rêve aux plumes chaudes,
et aux frissons d’amour,
si proches des spasmes de l’agonie.
À L’ÉTÉ
Il flotte une grande joie dans toute cette vie
dispersée aux abîmes, comme une foi secrète
en celui qui délivre des odeurs de la mort.
À L’INVISIBLE
Dans cette éternité du feu transcendant,
où s’ alternent les vies et les trous du silence,
j’ ai atteint le moyeu secret des limites
et je ris des puissances de la mort.
À IÉEOÔUA
Comme ces étoiles soudainement embrasées
dans la nuit du cosmos, le coeur divin éclate
démesurément quand un sage pénètre jusqu’ à lui.
À UNE FÉE
Le dieu qui me conseille
et qui nage dans mon sang,
accomplit aisément mille et une merveilles,
pendant que ma carcasse peine,
et vainement essaie de comprendre.
À UNE DAME OUBLIÉE
Gratuité parfaite, aveugle étrangeté,
les lunettes du mort surnagent
sur ce miroir où nulle main amie
ne voilera pour nous, leur nudité de glace.
AU GRAND PAN
J’ ai balbutié tes maîtres mots
aux autres hommes comme à moi-même,
et maintenant mon écorce vidée gît à tes pieds,
toujours foulant et toujours dansant.
À MOI-MÊME
En créant dans mon cœur les images du rêve,
je m’ exerce sagement à l’ état de mort et de dieu,
où les parfums subsistent, à peine reconnaissables.
AU SOMMEIL
Dans les mers fossiles
où mon double s’égare
et frôle le silence,
je vois palpiter l’ œuf étrange,
où tournent des univers de nuit.
À UN SAGE
La muraille invisible qui protège l’amour,
ne peut être franchie que par l’amant divin.
Quelle joie et quelle tristesse à parcourir cette voie,
où l’ infini des nombres s’ écrase et désespère
devant le seuil des eaux d’ or.
À UNE STATUE
Pendues dans le silence
Semblables en cécité,
Les mains de pierre s’élancent,
vers le ciel assoupi,
dans les herbes qui marchent.
AU GÉNÉRAL EN CHEF
Ne cachons pas aux simples les visages de la mort
qui reviennent toujours en déchirants troupeaux.
Je veux dire ces millions de sourires, s’ effaçant
aux boues sombres des champs de l’honneur.
À LA NATURE
J’ ai dû pour subsister
inscrire ton portrait dans les choses vulgaires,
et voiler pour toujours l’ esprit de liberté,
qui fâchait tant leur médiocrité.
AU VIEUX GRENIER
Trésors fabuleux prodigués
par les mondes magiques,
perles de mon enfance retrouvées
dans le fond des musiques,
me voici à genoux devant votre clarté,
où se joue le feu prodigieux des beautés.
À UNE NONNE
Telle une graine oubliée dans la tombe,
cette femme priait parmi la foule éteinte,
aimantant jusqu’à nous la douceur des eaux vives.
À TOUS LES SAINTS
Crustacé sans défense amolli par la mue,
je me cache de tous, quand l’amour me dénude
pour la croissance folle.
AU MONDE
Quand je rouvris les yeux après la grande absence,
tout me sembla si pâle et si vide,
que j’ entrai pour toujours dans le cœur du silence.
AU DR A. ROUHIER
Quand on nous montra par magie
les villes qui flambaient sous la grêle du phosphore,
les hommes assis acclamèrent ce mirage,
et je compris que Dieu m’ avait livré aux fous.
À LA FIN ET AU COMMENCEMENT
Clamez fureurs des ruts et des combats,
contradiction de mort dans les flots de la vie.
Enfoncez votre fougue dans le sang du rachat,
et lavez vos furies dans les eaux de l’ abîme.
Jaillissez dans le ciel des mémoires,
et puisez votre chair dans les flancs de la mer,
avant de réveiller le feu roux
qui dérive sur la face du rêve.
À UN AMOUR MORT
Dans la quiète maison où la nuit me pénètre,
une musique ancienne agrandit le repos des années.
La pluie qui baigne le jardin s’ écoule
comme le temps des solitudes humaines.
AU NÉANT
J’ai mangé la souffrance comme un pain de détresse,
et j’ai bu dans la coupe de l’amertume altière.
J’ai roulé mon ennui dans les plis du présent,
et lassé ma vêture dans le gouffre des nuits.
J’ai sucé la tristesse des jours dépassés,
et comblé mes désirs dans les tours d’horizon.
J’ai parfait ma pensée dans le vide des mots,
et j’ai trouvé la paix dans le rire de la faux.